Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 22 novembre 2018, n° 17/03376 | Doctrine
La cour d’appel de Lyon aura, dans le cadre d’un jugement rendu en date du 22 novembre 2018, écarté le plafonnement du loyer de renouvellement en constatant une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D'une part, si une modification notable des facteurs locaux de commercialité de la zone d’implantation du local commercial pouvait être retenue par le juge ;
2 – D'autre part, si cette modification pouvait entraîner le déplafonnement du loyer renouvelé, et ses conséquences sur son montant.
1 – Sur la modification notable des facteurs locaux de commercialité
À l’origine de la procédure, suite à un désaccord de quant au prix de renouvellement d’un bail commercial par le preneur, le bailleur saisit le juge des loyers commerciaux. Selon lui, la modification des facteurs locaux de commercialité dans le secteur de la rue de la République justifie un déplafonnement du loyer renouvelé, aux termes de l’article L.145-38 du Code de Commerce.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Le législateur a tout de même prévu un mécanisme de « déplafonnement » qui permettra d’écarter la règle de plafonnement si est apportée, selon l’article L.145-38 alinéa 3 du Code du Commerce, la preuve « d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative ».
Selon la Cour de cassation, les modifications intervenues doivent cependant être « de nature à avoir une incidence significative sur l’activité du preneur » (Cour de cassation, 3ème chambre civile, le 9 juillet 2008), d’où l’exigence d’une hausse de plus de 10%.
Ces facteurs locaux de commercialité correspondent notamment à la situation géographique du commerce (ville, quartier, rue), à sa desserte par les moyens de transport, aux attraits particuliers de l’emplacement, à sa situation vis-à-vis des concurrents, à son chiffre d’affaires, à la création de logements et de parkings.
Au sein de la ville de Lyon, la jurisprudence avait ainsi retenu, à titre d’exemple, la création de la ligne du métro D (Cour d'appel de Lyon, du 18 décembre 2002, 2001/03656 | Doctrine), la construction d’immeubles d’habitation et d’usage tertiaire au sein du 6e arrondissement (Cour d'appel de Lyon, 17 décembre 2009, n° 09/03939 | Doctrine) ainsi que l’ouverture d’un parking et d’une station de métro (Cour d'appel de Lyon, 13 janvier 2015, n° 12/00828 | Doctrine).
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la modification des facteurs locaux de commercialité de l’environnement d’un local entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce. Cette interprétation aura été très récemment confirmée par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2004 entre le bailleur et le preneur, dont l’objet était la vente de chaussures, de maroquinerie et d’accessoires, son prix annuel étant alors fixé à 14 483,04 euros.
À l’issue de son expiration, le preneur a demandé le renouvellement du bail au bailleur, lequel en a accepté le principe, moyennant un loyer annuel de 60 780 euros. Suite à un refus d’acceptation du locataire, le bailleur saisit ainsi le juge des loyers commerciaux d’une demande de déplafonnement du loyer.
Le local commercial dont il est question correspond à un commerce de vente de chaussures, exploité sous l’enseigne Janie Philip. Situé à proximité immédiate de la Place de la République, où sont implantées de nombreuses enseignes nationales de prêt-à-porter (Uniqlo, Foot Locker, Zara, Printemps, …), le bien bénéfice d’une position très privilégiée, grâce à la voie piétonne notamment.
Le juge des loyers commerciaux retient au sein du présent arrêt une modification notable des facteurs locaux de commercialité. Pour ce dernier, la création du parc Grolée ainsi que l’ouverture cumulative des enseignes Monoprix et H&M au sein de la rue de la République profite à l’augmentation de la fréquentation du secteur et a une conséquence directe sur l’activité de la société locataire.
Comme nous avons pu l’affirmer, une fois qu’elle est caractérisée, la modification notable des facteurs locaux de commercialité entraînera l’application du mécanisme de déplafonnement, ce qui aura des conséquences sur la fixation du montant du loyer renouvelé.
2 – Sur les conséquences du déplafonnement quant au montant du loyer
En droit, en cas de déplafonnement, la valeur locative sera en principe prise en considération pour la fixation du loyer, qui ne peut conduire à une augmentation supérieure, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente depuis la loi « Pinel » de 2014 (articles L.145-34 et L.145-38 du Code de Commerce).
Selon le juge, le loyer du bail renouvelé doit ainsi être fixé à la valeur locative, par comparaison avec les prix couramment pratiqués dans le voisinage, à l’exclusion d’un quelconque plafonnement.
La comparaison se faisant en principe par le biais des surfaces pondérées, il apparaît nécessaire de faire appel à un expert immobilier afin qu’il détermine la surface pondérée du local puis examine les références produites pour en obtenir une valeur de référence au m2.
En parallèle l’expert déterminera à l’aide de ses propres références et de la jurisprudence les prix des loyers pratiqués dans des secteurs géographiques similaires, pour des activités similaires. Il les multipliera à la surface pondérée pour obtenir le montant du loyer de renouvellement déplafonné.
En l’espèce, l’expert immobilier a retenu pour établir le loyer de renouvellement des références de loyers pratiquées au sein de la rue de la République, dans des locaux commerciaux similaires. Selon huit références, il ressort ainsi une tendance de 534 à 728 euros le m2, avec une moyenne fixée à 696 euros au m2 pondéré. En raison de l’augmentation de fréquentation de la zone, la valeur locative au m2 a été fixée à 772,56 euros.
D’après le calcul de l’expert judiciaire validé par la Cour d’appel de Lyon, le prix d’un loyer déplafonné du bail renouvelé d’un local commercial situé au 24, rue de la République à Lyon est de 25 494 euros (annuel, hors charges et hors taxes).