Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-7, 7 octobre 2020, n° 17/12518 | Doctrine
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a, dans le cadre d’un arrêt rendu en date du 7 octobre 2020, écarté le plafonnement du loyer de renouvellement d’un hôtel situé au 1, Rue Sainte-Réparate à Nice, en le qualifiant de monovalent.
Le bien est situé en plein cœur du centre historique du vieux Nice et à proximité immédiate des plages, ce qui rend sa situation géographique unique, d’autant plus qu’il bénéficie d’une vue sur la cathédrale Sainte-Réparate.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D'une part si le caractère monovalent d’un local commercial (hôtel) pouvait être retenu ;
2 – D'autre part, si cette qualification pouvait entraîner l’exclusion de la règle du plafonnement du loyer renouvelé, selon l’article R.145-10 du Code de Commerce.
1 – Sur le caractère monovalent du local commercial
À l’origine de la procédure, le bailleur assigne le preneur devant le juge des loyers commerciaux afin de fixer le prix du loyer renouvelé. Celui-ci le fixe à un prix qu’il juge trop peu élevé ; il fait donc appel de la décision.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Par exception, le loyer du bail renouvelé peut être fixé sans respecter la règle de plafonnement du loyer ; on parlera alors de « déplafonnement », le loyer déplafonné sera alors par principe fixé à la valeur locative., lorsque le juge décide de faire application des articles L.145-38 et L.145-33 du Code de Commerce notamment.
En plus du critère légal, la jurisprudence a prévu une liste limitative des causes de déplafonnement, parmi lesquelles figure la monovalence des locaux. Au sens de l’article R.145-10 du Code de commerce, un local est dit monovalent s’il est construit ou aménagé en vue d’une seule utilisation commerciale. Il s’agira par exemple d’un cinéma, d’un hôtel ou d’un garage.
À la lumière de cet article et de l’application qu’en fait le juge d’une jurisprudence constante, la monovalence répond pour être caractérisée à la réunion de deux critères : (1) le local doit être adapté à un usage unique ; (2) la destination du local ne peut être modifiée sans engager des travaux importants.
Une conception extensive de la monovalence est, depuis plusieurs décennies, adoptée par la Cour de cassation, cela dans l’objectif de permettre aux bailleurs de fixer leurs loyers de renouvellement aux prix du marché, sans tenir compte de la règle de plafonnement. Le bailleur devant ainsi rapporter la preuve de la monovalence des locaux, tandis que le locataire doit lui rapporter la preuve que le local commercial peut, à peu de frais, changer d’affectation.
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la monovalence d’un local entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce, ce qui aura très récemment été confirmé par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2005 pour l’exploitation d’un local commercial qui n’était alors pas encore un hôtel, mais un ensemble de studios. En 2012, sur autorisation du bailleur, le locataire a effectué des travaux de réhabilitation des lieux, afin de les transformer en chambres d’hôtel.
La monovalence des locaux a été retenue par les parties, ce que le juge des loyers commerciaux aura confirmé, en ce qu’ils étaient aménagés particulièrement, exclusivement pour la pratique de l’activité d’hôtellerie, ce qui est confirmé par l’intitulé du bail qui liait les parties, « à usage exclusif d’hôtellerie ».
Comme nous l’avons affirmé, une fois qu’elle est caractérisée, la monovalence d’un local commercial entraînera l’application du mécanisme de déplafonnement, ce qui aura des conséquences sur la fixation du montant du loyer renouvelé.
2 – Sur le montant du loyer renouvelé après qualification de local monovalent
En droit, le régime de détermination du montant du loyer renouvelé est fixé par l’article R.145-10 du Code de Commerce, qui dispose que « le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut […] être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée », en excluant l’application du régime primaire fixé à l’article R.145-3 du même Code.
Le loyer du bail renouvelé sera ainsi fixé selon une méthode que le juge détermine souverainement, qui sera spécifique à l’activité en cause et qui se réfèrera aux résultats d’exploitation. En matière d’hôtellerie, la méthode dite hôtelière peut être adoptée par l’expert judiciaire, dès lors que la monovalence des locaux exploités comme hôtel n’est pas contestée par les parties ou est retenue par le juge.
Cette méthode est celle qui apporte le calcul le plus précis et le plus objectif du montant du bail renouvelé, puisqu’elle consiste à prendre en considération plusieurs facteurs tels que :
- La recette théorique globale hors taxes (prix affiché par chambre multiplié par le nombre de chambres) ;
- L’abattement pour segmentation de la clientèle, s’il y a une pratique habituelle de remises (par exemple, comités d’entreprises, tour-opérateurs ou autres) ;
- Le taux d’occupation choisi en fonction du classement de l’hôtel, de son implantation géographique et des éléments statistiques recueillis pour des établissements de même catégorie ;
- Un coefficient sur recettes en fonction du classement de l’hôtel, des caractéristiques physiques du bâtiment, de la conformité aux normes administratives et aux normes habituellement admises pour des établissements comparables.
En l’espèce, les travaux à effectuer par le bailleur auraient dû être, dans le cas où il voulait opérer une mutation de l’hôtel en une autre activité commerciale trop coûteux. On observe ici une réunion des deux critères précités, à savoir le fait que le local soit adapté à un usage unique et l’importance des travaux envisagés.
La Cour de cassation ayant auparavant retenu une conception extensive de la notion de monovalence des locaux, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’aligna sur cette dernière, en affirmant dans son jugement que l’importance des sommes à débourser pour faire de cet hôtel un autre secteur d’exploitation commerciale entraînait nécessairement le fait qu’il soit qualifié de monovalent.
Par ailleurs, la cour d’appel de Chambéry avait déjà retenu la même solution dans un très récent arrêt, ou elle avait considéré qu’une somme de 4 000 000 d’euros était jugée excessive, entraînement également la qualification d’un hôtel en local monovalent (insérer lien quand il sera publié).
En application de l’article R.145-10 du Code de commerce, le loyer des locaux devait alors être fixé à la valeur locative selon les usages observés dans la branche d’activité concernée. On fit alors usage de la méthode hôtelière pour fixer le loyer de renouvellement à 23 623 euros HT et HC/an, à l’exclusion d’un quelconque plafonnement du loyer.
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