Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 8 octobre 2020, n° 18/04286 | Doctrine
La cour d’appel de Grenoble a, dans le cadre d’un arrêt rendu en date du 8 octobre 2020, écarté le déplafonnement du loyer de renouvellement d’un commerce de détail de parfumerie et de produits de beauté (Sephora).
Le juge justifie son refus, au motif que le bailleur ne caractérisait aucune modification notable des facteurs locaux de commercialité au sein de la zone d’implantation de son local commercial.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D'une part, si une modification notable des éléments déterminant la valeur locative de la zone d'implantation du local commercial ainsi que la présence d’une modification des facteurs locaux de commercialité pouvaient être retenues ;
2 – D'autre part, si ces modifications pouvaient entraîner l’exclusion de la règle du plafonnement du loyer renouvelé, et ses conséquences sur son montant.
1 – Sur la modification notable des éléments déterminant la valeur locative
À l’origine de la procédure, suite à une opposition de renouvellement d’un bail commercial par le preneur, le bailleur saisit le juge des loyers commerciaux. Selon lui, plusieurs éléments déterminant la valeur locative ont subi des modifications notables justifiant le déplafonnement du loyer du local commercial, aux termes de l’article L.145-34 du Code de Commerce.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Le législateur a tout de même prévu un mécanisme de « déplafonnement » qui permettra d’écarter la règle de plafonnement si est apportée, selon l’article L.145-38 alinéa 3 du Code du Commerce, la preuve « d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative ».
L’article L.145-34 alinéa 4 du Code du Commerce assouplit encore un peu plus le régime, puisqu’il permet également un déplafonnement du loyer renouvelé en présence d’une « modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33 ». Parmi ces derniers, on retrouve ainsi : les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ; les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de commercialité ; les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Selon la Cour de cassation, les modifications intervenues doivent cependant être « de nature à avoir une incidence significative sur l’activité du preneur » (Cour de cassation, 3ème chambre civile, le 9 juillet 2008).
À titre d’exemple, pour caractériser une modification notable des éléments déterminant la valeur locative, la Cour de cassation avait pu retenir l’activité de sous-location du preneur (Cour de cassation, Chambre civile 3, 8 décembre 2010, 09-70.784, Publié au bulletin | Doctrine) ; la réalisation de travaux par le locataire ou le bailleur, lorsqu’ils ont une incidence favorable sur l’activité commerciale ; la modification de la destination contractuelle du local commercial (Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 8 octobre 2020, n° 18/04286 | Doctrine).
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la modification des éléments déterminant la valeur locative d’un local commercial entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce. Cette interprétation aura été très récemment confirmée par la Cour de cassation (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 3 juin 2004, 02-18.779, Inédit | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2004 entre le bailleur et le preneur, moyennant un loyer annuel de 39 418,80 euros. Indexé sur l’indice des loyers commerciaux (ILC), le loyer s’élevait alors à 53 965,96 euros à l’issue du bail, lequel s’est poursuivi par tacite reconduction en 2013.
Au cours de l’année 2016, le preneur a fait délivrer au bailleur une demande de renouvellement du bail, lequel y a répondu favorablement sur le principe. Suite à un désaccord quant au prix proposé, le bailleur saisit ainsi le juge des loyers commerciaux d’une demande de déplafonnement du loyer.
Le local commercial dont il est question correspond à un commerce de détail de parfumerie et de produits de beauté en magasin, exploité sous l’enseigne Sephora. Situé dans le centre-ville de Grenoble, à proximité d’enseignes à forte activité commerciale (Burger King, FNAC, Galeries Lafayette, …) et dans une zone où l’édification d’un ensemble immobilier a accru la population du quartier, le bien bénéficie d’une position privilégiée.
Le preneur soutient en appel que plusieurs des éléments déterminant la valeur locative ont subi des modifications notables justifiant le déplafonnement du loyer. Il invoque en effet la réalisation de travaux qui ont accru la surface de vente et de réception de la clientèle ainsi que le changement de destination des lieux, par adjonction de prestations relevant d’une activité d’institut de beauté.
En parallèle, les travaux de rénovation de commerces et d’établissements hôteliers voisins, la création d’enseignes à forte attractivité, l’édification de l’ensemble immobilier précité constituent à son sens une modification notable des facteurs locaux de commercialité, lesquels peuvent justifier un déplafonnement aux termes de l’article L.145-38 du Code de Commerce (en ce sens, conférer article déplafonnement facteurs locaux de commercialité 24, rue de la République à Lyon).
La cour d’appel de Grenoble affirme qu’en matière de demande de déplafonnement du loyer, la preuve pèse sur le bailleur. En l’occurrence, il ne fournissait aucun élément précis permettant de démontrer que la zone d’établissement du local commercial a subi une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
En effet, cette dernière avait selon la cour toujours eu une très forte attractivité commerciale, d’autant plus qu’il n’est pas prouvé par le bailleur que l’implantation des enseignes à forte activité commerciale ou de l’ensemble immobilier, auquel il se réfère sans plus de précisions, aurait eu une conséquence directe sur l’activité de la société locataire.
2 – Sur les conséquences du refus de déplafonnement sur le montant du loyer
En appel, le juge écarte l’application de la règle de déplafonnement du loyer de renouvellement, au motif que les éléments invoqués par le bailleur ne le sont que très sommairement, sans aucune justification. Faisant application d’une jurisprudence constante (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 27 mars 2002, 01-00.845, Inédit | Doctrine), il réaffirme qu’en matière de demande de déplafonnement, la charge de la preuve pèse sur le bailleur.
En droit et en l’application des dispositions de l’article L.145-34 du Code de Commerce, lorsque la durée du bail n’excède pas douze ans à compter de la date de la demande de renouvellement et lorsqu’aucune modification notable des éléments déterminant la valeur locative (en cela, L.145-33 du même Code) n’est démontrée, le plafonnement de la variation du loyer applicable est imposé.
En l’espèce, le bail à renouveler avait débuté en octobre 2004 et s’était poursuivi par tacite reconduction après son terme en septembre 2013, sans que sa durée ne dépasse douze années à la date de demande de renouvellement, en avril 2016.
En ce qu’aucune modification notable des éléments déterminant de la valeur locative n’avait été démontrée par le bailleur, par principe, le loyer renouvelé sera soumis à la règle de plafonnement.
D’après le calcul de l’expert judiciaire validé par la cour d’appel de Grenoble, le prix d’un loyer plafonné du bail renouvelé d’un local commercial situé au 6, place Victor-Hugo à Grenoble est de 46 479,81 euros (annuel, hors charges et hors taxes).
Rencontrez nos experts immobiliers à Grenoble.