Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 25 mai 2022, n° 19/17182 | Doctrine
La Cour d’appel de Paris a, dans le cadre d’un arrêt rendu en date du 25 mai 2022, écarté l’application de la règle de plafonnement du loyer de renouvellement d’un hôtel situé au 8, rue de la Boule Rouge à Paris, en le qualifiant de monovalent.
Le local commercial dont il est question correspond à un hôtel, exploité sous la marque Mattle France. Celui-ci est situé au sein d’un emplacement très favorable à l’exercice d’une activité hôtelière dans un quartier animé de jour comme de nuit et sur une voie calme.
La contrepartie d’un environnement très concurrentiel ne lui préjudicie pas, d’autant plus que malgré les difficultés de stationnement, le secteur est équipé de parkings publics et bien desservi par les transports en commun.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D'une part si le caractère monovalent d’un local commercial (hôtel) pouvait être retenu ;
2 – D'autre part, si cette qualification pouvait entraîner l’exclusion de la règle du plafonnement du loyer renouvelé, en l’application de l’article R.145-10 du Code de commerce.
1 – Sur le caractère monovalent du local commercial
À l’origine de la procédure, le bailleur sollicite la fixation du prix du bail renouvelé à une somme que le preneur estime trop élevée. Ce premier saisit donc le juge des loyers commerciaux qui constate la monovalence des locaux. Le locataire interjette appel de certains chefs du jugement.
En droit, importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Par exception, le loyer du bail renouvelé peut être fixé sans respecter la règle de plafonnement du loyer ; on parlera alors de « déplafonnement », le loyer déplafonné sera alors par principe fixé à la valeur locative., lorsque le juge décide de faire application des articles L.145-38 et L.145-33 du Code de Commerce notamment.
En plus du critère légal, la jurisprudence a prévu une liste limitative des causes de déplafonnement, parmi lesquelles figure la monovalence des locaux. Au sens de l’article R.145-10 du Code de commerce, un local est dit monovalent s’il est construit ou aménagé en vue d’une seule utilisation commerciale. Il s’agira par exemple d’un cinéma, d’un hôtel ou d’un garage.
À la lumière de cet article et de l’application qu’en fait le juge d’une jurisprudence constante, la monovalence répond pour être caractérisée à la réunion de deux critères : (1) le local doit être adapté à un usage unique ; (2) la destination du local ne peut être modifiée sans engager des travaux importants.
Une conception extensive de la monovalence est, depuis plusieurs décennies, adoptée par la Cour de cassation, cela dans l’objectif de permettre aux bailleurs de fixer leurs loyers de renouvellement aux prix du marché, sans tenir compte de la règle de plafonnement. Le bailleur devant ainsi rapporter la preuve de la monovalence des locaux, tandis que le locataire doit lui rapporter la preuve que le local commercial peut, à peu de frais, changer d’affectation.
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la monovalence d’un local entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce, ce qui aura très récemment été confirmé par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 1984 pour l’exploitation d’un local commercial correspondant à un hôtel. Après plusieurs renouvellements, le loyer du bail renouvelé avait en 2009 été fixé par un jugement à la somme de 124 986 euros.
Par un acte extrajudiciaire de 2015, le bailleur a fait délivrer au preneur une offre de renouvellement de bail, pour un montant de 220 000 euros. Après un refus de ce dernier, le bailleur saisit donc le juge des loyers commerciaux, qui constate la monovalence des locaux.
Aucun appel n’a été effectué par le locataire sur ce point, la monovalence des locaux aura donc été retenue par le juge et non contestée par les parties. Selon ce dernier, les lieux à usage d’hôtel étaient monovalents du fait du coût des travaux qui auraient possiblement pu être entrepris et de la configuration structurelle de l’immeuble.
Comme nous l’avons affirmé, une fois qu’elle est caractérisée, la monovalence d’un local commercial entraînera l’application du mécanisme de déplafonnement, ce qui aura des conséquences sur la fixation du montant du loyer renouvelé.
2 – Sur le montant du loyer renouvelé après qualification en local monovalent
En droit, le régime de détermination du montant du loyer renouvelé est fixé par l’article R.145-10 du Code de Commerce, qui dispose que « le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut […] être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée », en excluant l’application du régime primaire fixé à l’article R.145-3 du même Code.
Le loyer du bail renouvelé sera ainsi fixé selon une méthode que le juge détermine souverainement, qui sera spécifique à l’activité en cause et qui se réfèrera aux résultats d’exploitation. En matière d’hôtellerie, la méthode dite hôtelière peut être adoptée par l’expert judiciaire, dès lors que la monovalence des locaux exploités comme hôtel n’est pas contestée par les parties ou est retenue par le juge.
Cette méthode est celle qui apporte le calcul le plus précis et le plus objectif du montant du bail renouvelé, puisqu’elle consiste à prendre en considération plusieurs facteurs tels que :
- La recette théorique globale hors taxes (prix affiché par chambre multiplié par le nombre de chambres) ;
- L’abattement pour segmentation de la clientèle, s’il y a une pratique habituelle de remises (par exemple, comités d’entreprises, tour-opérateurs ou autres) ;
- Le taux d’occupation choisi en fonction du classement de l’hôtel, de son implantation géographique et des éléments statistiques recueillis pour des établissements de même catégorie ;
- Un coefficient sur recettes en fonction du classement de l’hôtel, des caractéristiques physiques du bâtiment, de la conformité aux normes administratives et aux normes habituellement admises pour des établissements comparables.
En l’espèce, en se référant à la configuration des locaux et au coût possible des travaux qui auraient pu être entrepris par le bailleur, le juge des loyers commerciaux a qualifié l’hôtel de monovalent, ce que les parties n’auront pas contesté en appel. On observe ici une réunion des deux critères précités, à savoir le fait que le local soit adapté à un usage unique (une « activité hôtelière ») et l’importance des travaux envisagés.
Par ailleurs, la cour d’appel de Chambéry avait déjà retenu la même solution dans un très récent arrêt, ou elle avait considéré qu’une somme de 4 000 000 d’euros était jugée excessive, entraînement également la qualification d’un hôtel en local monovalent.
En l’application de l’article R.145-10 du Code de commerce, le loyer des locaux devait alors être fixé à la valeur locative selon les usages observés dans la branche d’activité concernée. On fit alors usage de la méthode hôtelière pour fixer le loyer de renouvellement à 168 979,65 euros HT et HC/an, à l’exclusion d’un quelconque plafonnement du loyer.
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