Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 15 novembre 2018, n° 17/03080 | Doctrine
La cour d’appel de Grenoble aura, dans le cadre d’un jugement rendu en date du 15 novembre 2018, écarté le plafonnement du loyer de renouvellement en constatant une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D'une part, si une modification notable des facteurs locaux de commercialité de la zone d’implantation du local commercial pouvait être retenue par le juge ;
2 – D'autre part, si cette modification pouvait entraîner le déplafonnement du loyer, et ses conséquences sur son montant.
1 – Sur la modification notable des facteurs locaux de commercialité
À l’origine de la procédure, suite à une opposition de renouvellement d’un bail commercial par le preneur, le bailleur saisit le juge des loyers commerciaux. Selon lui, plusieurs éléments déterminant la valeur locative ont subi des modifications notables justifiant le déplafonnement du loyer du local commercial, aux termes de l’article L.145-34 du Code de Commerce.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Le législateur a tout de même prévu un mécanisme de « déplafonnement » qui permettra d’écarter la règle de plafonnement si est apportée, selon l’article L.145-38 alinéa 3 du Code du Commerce, la preuve « d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative ».
Selon la Cour de cassation, les modifications intervenues doivent cependant être « de nature à avoir une incidence significative sur l’activité du preneur » (Cour de cassation, 3ème chambre civile, le 9 juillet 2008), d’où l’exigence d’une hausse de plus de 10%.
Ces facteurs locaux de commercialité correspondent notamment à la situation géographique du commerce (ville, quartier, rue), à sa desserte par les moyens de transport, aux attraits particuliers de l’emplacement, à sa situation vis-à-vis des concurrents, à son chiffre d’affaires, à la création de logements et de parkings.
Au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes, la jurisprudence avait ainsi retenu, à titre d’exemple, la création de la ligne du métro D (Cour d'appel de Lyon, du 18 décembre 2002, 2001/03656 | Doctrine) et la construction d’immeubles d’habitation et d’usage tertiaire au sein du 6e arrondissement à Lyon (Cour d'appel de Lyon, 17 décembre 2009, n° 09/03939 | Doctrine) ainsi que l’extension de la zone piétonne du centre historique d’Annecy (en cela, Loyer de renouvellement - L’exemple de l’évolution notable des facteurs locaux de commercialité - Berthier & Associés expertises immobilières (berthier-associes.com)).
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la modification des facteurs locaux de commercialité de l’environnement d’un local entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce. Cette interprétation aura été très récemment confirmée par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2002 entre le bailleur et un premier preneur, auquel s’est substitué l’actuel locataire cinq ans plus tard. En 2015, le bailleur à fait signifier au preneur une demande de renouvellement du bail commercial, au sein de laquelle il entendait voir fixer le loyer à la somme de 52 845 euros déplafonnés, contre les 38 505,60 euros qui correspondaient alors au loyer actuel.
Suite à un refus d’acceptation du locataire sur ce montant, le bailleur saisit ainsi le juge des loyers commerciaux d’une demande de déplafonnement du loyer.
Le local commercial dont il est question correspond à un commerce d’activité de grill, pizzeria, salon de thé, crêperie, vente alimentaire et bar. Situé au rez-de-chaussée nord du centre commercial de la galerie marchande de l'Isle-D'abeau, le local bénéficie d’une position préférentielle, d’autant plus que d’importants travaux ont été réalisés par le preneur.
Le juge retient au sein du présent arrêt une modification notable des facteurs locaux de commercialité. Pour ce dernier, les importants travaux de rénovation ayant déjà été engagés à la date d’effet du nouveau bail justifient le déplafonnement car ils avaient vocation à améliorer l’activité du preneur.
Il affirme également que la construction d’un nouveau dôme d’entrée de nature à réduire la visibilité de l’enseigne de l’extérieur n’était pas un élément à retenir pour écarter le déplafonnement, car l’essentiel de l’activité provenait de l’intérieur de la galerie marchande ; on observe ici que le juge tient compte de la situation spécifique du preneur pour adapter au mieux son interprétation des règles de droit.
Comme nous avons pu l’affirmer, une fois qu’elle est caractérisée, la modification notable des facteurs locaux de commercialité entraînera l’application du mécanisme de déplafonnement, ce qui aura des conséquences sur la fixation du montant du loyer renouvelé.
2 – Sur les conséquences du déplafonnement sur le montant du loyer
En droit, en cas de déplafonnement, la valeur locative sera en principe prise en considération pour la fixation du loyer, qui ne peut conduire à une augmentation supérieure, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente depuis la loi « Pinel » de 2014 (articles L.145-34 et L.145-38 du Code de Commerce).
Selon le juge, le loyer du bail renouvelé doit ainsi être fixé à la valeur locative, par comparaison avec les prix couramment pratiqués dans le voisinage, à l’exclusion d’un quelconque plafonnement.
La comparaison se faisant en principe par le biais des surfaces pondérées, il apparaît nécessaire de faire appel à un expert immobilier afin qu’il détermine la surface pondérée du local puis examine les références produites pour en obtenir une valeur de référence au m2.
En parallèle l’expert déterminera à l’aide de ses propres références et de la jurisprudence les prix des loyers pratiqués dans des secteurs géographiques similaires, pour des activités similaires. Il les multipliera à la surface pondérée pour obtenir le montant du loyer de renouvellement déplafonné.
En l’espèce, les parties n’étant pas parvenues à trouver un accord sur la valeur locative, le juge a fait appel à un expert immobilier pour qu’il établisse le montant du loyer de renouvellement.
Selon ses références aux prix couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux comparables avec une surface et une situation comparable, l’expert retient une valeur de 350 euros au mètre carré.
En conclusion, d’après le calcul de l’expert judiciaire validé par la cour d’appel de Grenoble, le prix d’un loyer déplafonné du bail renouvelé d’un local commercial situé au 25, rue des Sayes à L'Isle-d'Abeau est de 61 652,50 euros (annuel, hors charges et hors taxes).
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